Art & Build s'engage dans le processus Cradle to Cradle (C2C) en co-signant avec cinq autres agences d'architecture, un manifeste proposant une traduction dans le domaine de la construction de cette nouvelle doctrine écologique, conçue par William Mc Donough et Michaël Braungart, respectivement designer étasunien et chimiste allemand.
Steven Beckers, membre associé de Art & Build, nous explique le sens de cette démarche.
Steven Beckers reçoit, des mains de Michaël Braungart, la première Charte C2C in Building.
M. Lucas (ARICIA): On présente Cradle to Cradle à la fois comme une nouvelle révolution industrielle et comme un tournant dans la pensée écologique. Qu'en est-il ?
S. Beckers: Je commence par le tournant écologique. Jusqu'à présent, l'idée traditionnelle de l'écologie était associée à la restriction, la privation: "réduire son emprunte écologique", "moins consommer", "économiser", etc. Cradle to Cradle renverse ce schéma mental: il s'agit d'accroître une empreinte écologique positive. Au recycling, Michaël Braungart substitue l'upcycling. Tout ce que l'homme fait doit, dans l'idéal, avoir un impact positif sur l'environnement, à l'instar du travail de la fourmis ou du cycle de l'arbre. Cela implique une révolution dans la conception des processus de production. La notion de déchet disparaîtra: les biens doivent s'inscrire dans un cycle (biologique ou technique) sans fin (cradle to cradle signifie "de berceau à berceau") et être conçus dans cette optique. C'est donc essentiellement une réflexion et un travail sur les modes production, qui exigent de la part des industriels ouverture, innovation et créativité. La révolution tient au fait que les produits ne seront plus réalisés en fonction d'un usage déterminé et limité, mais en fonction du cycle vertueux dans le quel ils pourront s'inscrire.
M.L.: En quoi C2C va changer votre approche de l'architecture ?
S. Beckers: En fait, C2C agit à deux niveaux pour nous: elle formalise une approche que nous développons depuis des années, approche que je qualifierais de holistique. En ce sens, elle met des mots sur nos actes et nos intuitions. Mais C2C agit aussi comme stimulant. Nous avons, avec d'autres bureaux d'architecture, rédigé le manifeste Cradle to Cradle in Architecture. Ce processus nous a obligé à identifier clairement les éléments fondamentaux de notre démarche, ce qui entraîne un effet de retour sur notre travail quotidien. Une cellule éco-team au sein de notre agence, veille à ce que chaque projet s'inscrive adéquatement dans le concept Cradle to cradle. De plus, l'intégration dans un réseau international suscite l'émulation et engendre de nouvelles collaborations. Enfin, une des dimensions fondamentales de Cradle to cradle est le choix de bons matériaux. Seul, comme bureau d'architecte, il n'est pas évident de connaître tout, ni de pouvoir évaluer la qualité des produits qui nous sont proposés. Le réseau C2C nous fait découvrir de nouveaux producteurs et nous apporte une expertise scientifique de haut niveau.
M.L.: Dans la mesure où C2C fait largement appel à la créativité et à l'innovation, en particulier pour ce qui est des matériaux, l'arsenal juridique en vigueur dans le secteur de la construction, à la fois très contraignant et assez conservateur, ne rend-il pas votre démarche impossible ?
S. Beckers: C'est sûr qu'il y a là une tension. Mais les choses évoluent. Et nous ne prétendons pas changer tout d'un coup. Notre approche est celle des petits pas. Si, sur un projet, nous pouvons introduire quelques éléments d'innovation, c'est une victoire. Et ça marche. Sur le projet Covent Garden, nous avons mis en place un système de purification biologique de l'eau. Ce n'était pas évident, mais nous y sommes parvenu. Dans un autre registre, celui de la certification, je constate aussi une évolution positive vers une plus grande souplesse, plus réceptive à l'innovation comme le prouve aujourd'hui la démarche de Valideo en Belgique.
M.L.: Cradle to Cradle est le bébé de Mc Donough et Braungart. Ils ont protégé leur marque et interviennent comme consultants. Ils donnent l'impression de vouloir tout contrôler. N'est-ce pas contradictoire avec la portée "universelle" de leur discours ? (C'est un peu comme si Gro Harlem Brundtlandt avait fait enregistrer "Développement durable").
S. Beckers: Nous avons, à certains moments lors de notre formation suivie à Hambourg, au siège de l'institut de recherche dirigé par Michaël Braungart (l'EPEA), eu quelque peu ce sentiment d'être dans une secte, face à un gourou. Il est clair que les deux scientifiques veulent éviter que leur théorie soit diluée et maltraitée. Ceci dit, je crois qu'inévitablement, Cradle to Cradle va leur échapper, pour être repris par, notamment, des instances publiques. C'est à mon sens souhaitable. Le Gouvernement des Pays-Bas, qui a inscrit sa politique dans l'approche C2C, a fait savoir que le processus se ferait avec ou, si nécessaire, sans le concours du duo. Notre manifeste Cradle to cradle in Architecture est une initiative autonome. Nous avançons avec Mc Donough et Braungart, mais n'attendons pas leur bénédiction à chaque étape.
Pour qui veut en savoir plus:
Cradle to Cradle, Remaking the Way we Make Thinks, William, McDonough; Michael Braungart (2002), North Point Press. ed.
Le manifeste Cradle to Cradle in Architecure: http://c2carchitecture.org/?lang=fr
Vers une écologie industrielle, Suren Erkman (2004), Mayer Charles Léopold eds